Aperçu institutionnel

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Introduction

L’accès à l’information et au savoir est un domaine de gouvernance qui implique un large éventail de parties prenantes à différents niveaux. Comme le montreront certains des rapports thématiques de ce volume, cette réalité découle de la diversité des questions en cause, notamment les droits de propriété intellectuelle, l’accès à l’information publique, les normes ouvertes, les droits de communication élargis comme la liberté d’expression et des questions touchant la propriété des médias et la participation aux médias.

Depuis six ans, de nouveaux liens ont commencé à se tisser entre ces questions et les acteurs qui y jouent un rôle, essentiellement dans le cadre du mouvement de la société civile sur l’accès au savoir de plus en plus influent. Les enseignants, les scientifiques, les journalistes et les « hacktivistes » sont parmi ceux qui ont trouvé une communauté d’intérêt dans l’élargissement de l’accès public à l’information et au savoir, ainsi qu’un certain nombre d’autres acteurs en marge du mouvement de l’accès au savoir, comme les agriculteurs qui veulent avoir le droit d’obtenir des semences, les militants des droits autochtones qui s’intéressent à la biopiraterie et les médecins et les employés d’organismes d’entraide qui s’intéressent à l’accès aux médicaments.

Un des catalyseurs de l’émergence de ce front commun a été le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), qui en 2003 et en 2005 a réuni les acteurs de la société civile et du secteur privé pour observer (et dans une certaine mesure influencer) le développement d’un accord intergouvernemental sur les principes et les actions nécessaires pour construire une société de l’information inclusive.

Le thème de l’accès à l’information et au savoir abordé dans les documents du SMSI est exprimé dans une des onze grandes orientations énoncées dans le Plan d’action de Genève dans lequel il est déclaré en 2003 que « les TIC [technologies de l’information et de la communication]permettent à chacun d’entre nous, en tout point du monde, d’accéder quasi instantanément à l’information et au savoir   dont les particuliers, les organisations et les communautés devraient pouvoir bénéficier »[1].

La force et la spécificité des recommandations découlant de ce principe ont été à bien des égards diluées par l’obligation d’obtenir un consensus intergouvernemental. Par exemple, alors qu’un premier texte négocié avait loué les avantages des logiciels libres pour promouvoir l’accès à l’information, des objections des États-Unis et de l’Union européenne ont conduit à la suppression de cette référence en faveur de la promotion de modèles de logiciels divers, y compris des logiciels propriétaires.

Découragée par les limites des documents officiels du SMSI, la société civile a produit son propre document du sommet, contenant des recommandations plus vigoureuses sur la promotion de l’accès à l’information et au savoir[2]. Depuis lors, d’autres déclarations et d’autres textes sur l’accès au savoir ont été rédigés par un certain nombre de coalitions de la société civile et du secteur privé. Il s’agit notamment de la Déclaration de Genève sur l’avenir de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle[3], la Charte Adelphi sur la créativité, l’innovation et la propriété intellectuelle[4], un projet de traité sur l’accès au savoir[5], l’Accord de Paris (un accord entre les consommateurs et les milieux créateurs et d’invention)[6] et la Déclaration de Munich sur les limitations et les exceptions au droit d’auteur[7].

Bien que l’espace ne permette pas de décrire directement ici ces documents et initiatives, un certain nombre des institutions responsables de les mettre en œuvre seront étudiées plus loin en insistant sur les activités qu’elles ont entreprises en 2008-2009. 
Cet examen porte sur les grandes questions suivantes :

  1. Les droits de propriété intellectuelle, le domaine public et les normes ouvertes
  2. Les médias publics démocratiques et l’accès à l’information publique
  3. Les droits civils en ligne.
Les droits de propriété intellectuelle, le domaine public et les normes ouvertes

L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), une organisation intergouvernementale, administre les conventions de propriété intellectuelle principales, soit la Convention de Berne sur le droit d’auteur, la Convention de Paris sur les brevets, les marques et dessins industriels et la Convention de Rome sur le droit d’auteur et les droits connexes. Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécution et les phonogrammes, qui sont entrés en vigueur en 2002, élargissent ces premiers instruments à la lumière des nouvelles technologies numériques, y compris l’internet.

Depuis 1995, la grande organisation intergouvernementale participant au système mondial de la propriété intellectuelle est l’Organisation mondiale du commerce (OMS), dont l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) incorpore largement le contenu des conventions administrées par l’OMPI, mais avec la différence importante qu’il traite la non-conformité comme un obstacle au commerce et permet à l’OMC d’imposer des sanctions aux pays membres en infraction. Il permet également le règlement des différends entre les pays dans le cadre de l’OMC.

Au cours de cette décennie, tant l’OMPI que l’OMC sont devenues la source du développement d’un contre-mouvement contre l’expansion des lois de propriété intellectuelle et des pratiques d’application qui, s’unissant avec la position adoptée au SMSI, a fini par aboutir au mouvement du droit au savoir d’aujourd’hui. Une retombée de ce processus a été l’adoption en septembre 2007 d’un programme de développement pour l’OMPI, en réponse à une proposition faite au départ par le Brésil et l’Argentine en 2004[8]. Les groupes de la société civile se sont rapidement ralliés autour de cette proposition, rédigeant leur Déclaration de Genève sur l’avenir de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle cette même année, suivie par un projet de traité sur l’accès au savoir en 2005 et la participation à la première conférence internationale sur l’accès au savoir à l’Université de Yale en 2006.

Le programme de développement lui-même contient 45 recommandations regroupées en six volets qui comprennent la promotion d’une culture de propriété intellectuelle axée sur le développement, la conservation du domaine public et l’échange des expériences sur des projets de collaboration ouverts. Jusqu’à présent, trois réunions du comité de l’OMPI sur le développement et la propriété intellectuelle se sont tenues et à la dernière réunion en avril - mai 2009, le secrétariat de l’OMPI a présenté un rapport sur l’état d’avancement des mesures prises pour mettre en œuvre les 19 recommandations[9].

Le principal résultat du plan d’action de l’OMPI pour le développement jusqu’à présent a été une discussion sur les nouvelles limites et exceptions minimums en matière de droits d’auteur par son comité permanent sur le droit d’auteur et les droits connexes. L’ajout de cette initiative au programme du comité a été proposé par le Chili, le Brésil, l’Uruguay et le Nicaragua en 2008 à partir d’une première proposition chilienne. Les limites et exceptions que doit étudier le comité du droit d’auteur et des droits connexes sont notamment celles qui concernent l’éducation, les bibliothèques, les archives, les services innovateurs et les personnes handicapées. La première proposition concrète dans ce domaine est le Traité pour les personnes aveugles, les déficients visuels et autres personnes présentant un handicap de lecture, déposé par le Brésil, l’Équateur et le Paraguay en mai 2009[10].

Un autre acteur transnational important à ce sujet est Google qui, en octobre 2008, a conclu un accord de règlement de 125 millions USD avec les éditeurs au sujet de son service de Book Search, pour lequel Google a conclu un partenariat avec des bibliothèques pour scanner des millions de livres avec index en texte intégral[11]. L’approbation finale du règlement est prévue pour octobre 2009, mais continue de dépendre du règlement des objections soulevées par certains groupes, notamment le Consumer Watchdog des États-Unis, selon lequel les conditions de l’accord favorisent indûment Google par rapport à d’autres intermédiaires de l’information pour l’accès aux livres numérisés.

Il ne faut pas oublier non plus la transition en juin 2009 de la plus vaste encyclopédie du monde, Wikipedia, à un modèle de double licence. Cette évolution a été facilitée par la Free Software Foundation qui a accepté d’inclure une clause à cette fin dans la version 1.3 du GNU Free Documentation Licence, en vertu de laquelle Wikipedia a reçu sa licence au départ. Par conséquent, tout le contenu déjà écrit pour Wikipedia, et tous les autres articles, seront autorisés en vertu de la licence Paternité-Partage des Conditions Initiales à l’Identique de Creative Commons, beaucoup plus flexible. Le contenu sera donc plus facilement partagé entre Wikipedia et d’autres publications utilisant la même licence Creative Commons.

Finalement, il faut mentionner les normes ouvertes qui influent sur l’accès au savoir et à l’information. Un événement important cette année dans la guerre des normes concurrentes entre le OpenDocument Format (ISO 26300:2006) et le Office Open XML (ISO/IEC 29500:2008) parrainé par Microsoft a été l’inclusion par Microsoft d’un filtre OpenDocument Format (ODF) dans le Service Pack 2 de Microsoft Office 2007. Mais ce filtre, même s’il est essentiellement conforme à la norme ODF n’est pas totalement interopérable avec d’autres mises en œuvre de cette norme, en partie en raison des limites de la spécification ODF[12]. La prochaine version 1.2 ODF qui devrait sortir au cours de l’année devrait remédier à ces limitations.

Médias publics démocratiques et accès à l’information gouvernementale

L’accès à l’information et au savoir dépend de l’existence d’une sphère publique démocratique où la parole et le débat sont possibles. Cela dépend à son tour de la présence de médias publics libres et pluralistes ainsi que de l’accès à l’information publique de base comme les lois et les débats parlementaires. Nous allons traiter brièvement de chacun de ces sujets.

Historiquement, une des institutions internationales les plus importantes pour la promotion de la diversité des médias est l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). L’UNESCO est connue pour le rapport MacBride de 1980[13], qui visait à établir ce que l’on a appelé le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication, qui assurerait une couverture plus équilibrée du monde en développement par les médias de masse. Les États-Unis, le Royaume-Uni et Singapour ont estimé que ce rapport préconisait une restriction à la liberté de la presse et se sont donc temporairement retirés de l’UNESCO en signe de protestation, ce dont l’Organisation ne s’est pas encore complètement remise.

Néanmoins, la communication et l’information sont aujourd’hui un des cinq grands programmes de l’UNESCO[14], et son Programme international pour le développement de la communication est un résultat durable du rapport MacBride.

Un autre programme de l’UNESCO plus pertinent à ce chapitre est son Projet d’information pour tous, établi en 2000 et qui vise à promouvoir l’accès à l’information grâce aux TIC. La Fédération internationale des associations des bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA) et son membre Information électronique pour le volet bibliothèque (eIFL) sont d’autres institutions internationales qui encouragent cette vision.

Une autre recommandation du SMSI sur l’accès à l’information et au savoir voulait que « les pouvoirs publics sont encouragés à donner un accès adéquat aux informations officielles à caractère public par divers moyens de communication, en particulier par l’internet ». Le développement le plus important récemment dans ce domaine a été la signature en juin 2009 d’une convention sur l’accès aux documents officiels par 12 des 47 membres du Conseil de l’Europe, qui pour la première fois a jeté les bases d’un accès aux documents officiels détenus par les pouvoirs publics[15].

Droits civils en ligne

Le Conseil de l’Europe a établi en mai 2009 que l’accès à l’internet est un droit fondamental et que « les droits fondamentaux et les normes et valeurs du Conseil de l’Europe s’appliquent à l’information et aux services de communication en ligne autant qu’au monde physique »[16]. Des préoccupations ont également été exprimées dans la résolution au sujet de la portée des lois antiterrorisme qui limitent la liberté d’expression. Ce sont des messages que le Conseil a répété dans d’autres tribunes, comme le Forum sur la gouvernance de l’Internet (FGI).

Le FGI, un organe multipartite ouvert organisé par l’ONU en 2006 dans la foulée du SMSI, offre une occasion de débat sur les questions liées aux politiques de l’internet afin que ces discussions (et le cas échéant les recommandations) soient portées à l’attention des institutions internationales pertinentes en vue d’un suivi. 
Même si le FGI a pris du temps à établir des modalités concrètes pour s’acquitter de son mandat, un des mécanismes expérimentaux qu’il a tenté d’utiliser pour ce faire est la création de coalitions dynamiques indépendantes, dont l’une est la Coalition dynamique pour les droits et les principes de l’internet. Ce groupe a été formé à la suite de la troisième réunion du FGI à Hyderabad, en Inde, en décembre 2008 par la fusion des anciennes coalitions dynamiques Framework of Principles for the Internet et Internet Bill of Rights. Une de ses activités actuelles est d’examiner la Charte des droits de l’Internet d’APC qui a été révisée en 2006[17].

Une autre nouvelle institution dans ce domaine, bien que plus limitée dans sa composition compte tenu de l’absence de membres gouvernementaux, est la Global Network Initiative (GNI)[18]. La GNI, qui comprend Microsoft, Google et Yahoo du secteur privé, ainsi que des groupes de la société civile comme Electronic Frontiers Foundation (EFF) et le Centre pour la démocratie et la technologie, ont publié un ensemble de principes sur la liberté d’expression et la protection de la vie privée en octobre 2008. Les principes visent à définir la mesure dans laquelle le secteur privé peut collaborer avec les gouvernements qui recherchent son aide pour limiter la liberté d’expression ou la protection de la vie privée de leurs clients.

Conclusion

Dans ce rapport, nous n’avons pu brosser qu’un tableau très général du cadre institutionnel de l’accès à l’information et au savoir. De plus, nous n’avons pas ici tenté d’étudier l’accès aux documents imprimés (particulièrement important pour assurer un accès suffisant aux ressources éducatives, en particulier dans le monde en développement). Nous n’avons pas étudié non plus les activités des organisations non gouvernementales régionales et locales ni celles des gouvernements nationaux, bien que bon nombre d’entre elles seront abordées dans les rapports pays qui suivent dans ce volume.

Malgré tout, il est évident que les initiatives dans ce domaine proviennent de tous les secteurs : public, privé et société civile. Dans les trois grands domaines examinés dans ce rapport, intitulés de façon concise droit de propriété intellectuelle, médias publics démocratiques et droits civils en ligne, les parties prenantes de tous les secteurs ont créé des alliances productives et commencé à faire des progrès qui n’auraient pas pu être réalisés isolément. Par exemple, la société civile a collaboré avec les pouvoirs publics pour soutenir le plan d’action de l’OMPI pour le développement et avec le secteur privé pour promouvoir les droits civils en ligne au sein de la GNI.

Il manque maintenant des activités permettant d’obtenir les mêmes gains qui proviennent de la collaboration des institutions et d’autres acteurs entre ces grands domaines. Jusqu’à présent, il existe peu d’activités coordonnées entre, par exemple, l’OMPI et l’UNESCO (même au sein de forums comme le FGI, qui visait pourtant à favoriser ces liens) ou entre les groupes œuvrant pour les droits humains et le milieu des logiciels libres. Pour adopter une approche globale permettant de réduire le fossé informationnel grâce aux TIC, les parties prenantes devront en arriver à une vision globale commune des grandes questions qui constituent ce domaine, en complément de la promotion de l’accès au savoir et à l’information pour tous.

Références

Campagne CRIS, Assessing Communications Rights: A Handbook, 2005. www.crisinfo.org/pdf/ggpen.pdf
Hugenholtz, P. et Okediji, R., Conceiving an International Instrument on Limitations and Exceptions to Copyright, 2008 
Kapczynski, A., The New Politics of Intellectual Property, Yale Law Journal, 117, p. 804-885, 2008. papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1323525
Malcolm, J., Multi-Stakeholder Governance and the Internet Governance Forum, Terminus Press, Perth, 2008

[11] books.google.com

[13] unesdoc.unesco.org/images/0004/000400/040066eb.pdf

[15] wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1377737&Site=CM

[17] rights.apc.org/charter.shtml