Kenya

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Kenya ICT Action Network (KICTANet)

 

Introduction

Les années 1990 sont considérées comme l’époque des grandes réformes politiques en matière de technologies des communications dans le monde. Les entreprises nationales ont été privatisées et de nouveaux concurrents et services ont été autorisés (Ayogu, 2003). Le Kenya a fait partie de cette évolution considérable. Le secteur des technologies de l’information et de la communication du pays est maintenant pleinement libéralisé, ce qui offre des possibilités pour l’économie du pays et l’ouverture de l’accès aux régions rurales. Le secteur des TIC est optimiste, la société civile et les entreprises sont actifs dans le domaine et l’engagement du gouvernement à l’égard des TIC a été reconnu sur le plan régional et international.

Pourtant, comme la plupart des pays en développement, le bon côtoie le mauvais. Le fournisseur de service de téléphonie fixe, Telkom Kenya, possède 330 000 lignes, soit une télédensité de 0,16 % dans les régions rurales et de 4 % dans les zones urbaines. Ce nombre d’abonnés diminue progressivement en raison de la mauvaise qualité du service et du manque de conformité aux obligations de service universel. Par contre, le secteur mobile connaît un essor rapide. Le nombre des abonnés a augmenté de 5,3 millions en 2005 à 7,3 millions en décembre 2006, une hausse de 36,5 %. En mars 2008, le nombre des abonnés était passé à 11 989 007 soit un taux de pénétration de 32,25 %. Là encore, le développement de l’internet au Kenya n’a pas été aussi marqué que le secteur de la téléphonie. Une étude sur l’internet réalisée par la Commission des communications du Kenya (CCK) (2007) a constaté qu’il n’y avait que 1 650 000 internautes, malgré l’introduction de l’internet en 1993, alors que la population est de 37 millions d’habitants.

Depuis 2003, les TIC sont toujours une priorité du gouvernement kenyan, comme en témoignent les divers plans et initiatives : The East African Marine System (TEAMS, 2007-2009), le projet Villages numériques et la Stratégie de gouvernement en ligne (2004-2009). Cette dernière prévoit un plan de mise en œuvre d’initiatives des TIC et fixe un processus de modernisation du gouvernement. Cela devrait influer sur les relations entre la population, les entreprises et le gouvernement. Le potentiel des TIC de stocker, de traiter, d’extraire et de diffuser des quantités considérables de données et d’informations continuera de permettre une plus grande transparence, l’obligation de rendre compte et l’efficacité des activités gouvernementales.

Selon le Rapport sur les secteurs publics dans le monde 2005 publié par le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DAESNU), plus de 90 % des 191 pays membres de l’ONU avaient des sites Web gouvernementaux. Il est intéressant de noter que le gouvernement en ligne est étroitement lié et partage des caractéristiques communes avec le commerce et les affaires en ligne en ce qui concerne l’utilisation et la mise en œuvre de la technologie internet. Il restructure les processus entre les organisations et à l’intérieur de celles-ci, produisant de nouveaux services, produits et canaux pour l’utilisateur final. Le gouvernement en ligne promet une meilleure prestation de bon nombre de services publics ainsi que la diffusion de l’information sur les activités du gouvernement. Il promet d’améliorer la communication entre les citoyens et le gouvernement en permettant une participation directe au processus décisionnel. Il est important que les TIC et l’internet en particulier soient sécurisés pour que les utilisateurs sachent qu’ils travaillent dans un environnement fiable et sûr. La sécurité et la confiance dans l’environnement en ligne sont donc devenues un important objectif des décideurs.

Une étude menée par Pyramid Research en 2000 a montré que pour la majorité des Africains, la communication électronique avec le gouvernement se fait généralement par le biais d’institutions intermédiaires de TIC ou d’autres lieux d’accès publics, normalement le bureau de district local, la poste, le centre communautaire, un cybercafé, une bibliothèque ou une école, contrairement aux pays industrialisés où les interactions électroniques avec le gouvernement se font à la maison ou au travail. Les résultats de cette étude sont toujours valables pour de nombreux Kenyans qui continuent d’utiliser les institutions intermédiaires. Le degré de confiance de la population dans ces institutions a tendance à avoir des effets considérables sur l’utilisation des TIC pour atteindre les objectifs de développement.

Un rapport des Nations Unies sur l’état de préparation au gouvernement en ligne (2005), s’appuyant sur une étude réalisée par le DAES, indique que les pays africains ont beaucoup de difficultés à adopter et adapter les services de gouvernement en ligne et à tirer parti des possibilités qu’offrent les TIC en général. Les principales difficultés citées dans ce rapport sont les suivantes : le taux d’alphabétisation, l’engagement du gouvernement à l’égard d’une véritable transformation, le développement de l’infrastructure des communications et la cyber-sécurité. Avec le gouvernement en ligne, on doit révéler des renseignements personnels et les communiquer de façon très impersonnelle par rapport à un appel téléphonique ou à une rencontre en personne, qui sont plus interactives. L’étude indique également que les questions de sécurité et de confiance du public déterminent si les gens se sentent suffisamment à l’aise pour utiliser les services du gouvernement en ligne. En revanche, dans de bonnes conditions, les TIC peuvent contribuer à renforcer la confiance et la fiabilité en élargissant l’accès à l’information publique et en encourageant ainsi l’ouverture, la transparence et l’obligation de rendre compte dans l’administration publique.

De même, pour que les consommateurs et les petites et moyennes entreprises bénéficient du commerce et des affaires en ligne, ils doivent être assurés de la sécurité des transactions en ligne. À mesure que l’internet se diversifie, des ordinateurs personnels aux téléphones mobiles et autres appareils sans fil, la protection des biens et des renseignements personnels dans ce monde interconnecté sera de plus en plus importante. Ces aspects deviendront importants dans une ère numérique fondée sur la convergence des technologies et des systèmes.

Au Kenya, les TIC – en particulier les ordinateurs – sont mal compris par la plupart des gens, même s’ils sont très présents dans la vie quotidienne. Il existe une certaine technophobie, un manque de compétences ainsi qu’un malaise général face aux ordinateurs, en particulier dans la vieille génération de même que chez de nombreux décideurs. Cette réalité s’explique en partie par de mauvaises expériences personnelles, la socialisation, la culture, les histoires de panne généralisée d’ordinateurs et une question de mentalité (Mundy et autres, 2001).

Comment l’action ou l’inaction du gouvernement peut contribuer au manque de confiance dans les TIC

Ce que fait ou ne fait pas un gouvernement peut conduire à une méfiance dans les technologies comme l’illustrent les deux exemples suivants.

Conseil de l’examen national du Kenya

En 2007, le Ministère de l’éducation a blâmé les ordinateurs pour une confusion dans les résultats des examens nationaux de plus de 40 000 écoles secondaires nationales. Un comité a été mis en place pour examiner la question et a attribué le problème au logiciel désuet utilisé par le Conseil national des examens du Kenya (KNEC). Le ministre n’a pas voulu admettre qu’il ait pu s’agir d’une négligence professionnelle ou d’une simple incompétence. Il a expliqué cette honte nationale par la faute des ordinateurs. Ce faisant, il a impliqué que l’obstacle à l’adoption des TIC est le résultat d’un mauvais équipement de technologie de l’information, le manque de ressources financières pour acheter des ordinateurs et des logiciels modernes et la faiblesse de l’infrastructure, plutôt que des contraintes comme le manque de personnel qualifié.

Cette histoire illustre le type de rapport qui peut s’installer entre la technologie et les gouvernements et comment la technologie peut servir de bouc émissaire. La puissance de traitement et de bons logiciels permettent au gouvernement d’être plus convivial et parfois plus efficace, mais la technologie à elle seule ne peut pas compenser pour l’incompétence et les erreurs des politiciens et des bureaucrates.

Le projet de loi sur le terrorisme du Kenya

Les attaques terroristes au Kenya entre 1998 et 2002, aggravées par la campagne mondiale antiterroriste, ont conduit à la rédaction d’un projet de loi antiterrorisme publié dans la Gazette du Kenya le 3 juillet 2003. Si ce projet de loi est adopté, il deviendra une infraction criminelle de « recueillir », de « créer » (produire et afficher sur un site Web) ou de « transmettre » (par courrier électronique, boîte vocale ou toute autre méthode de télécommunication) toute information susceptible d’être utile à une personne qui commet ou se prépare à commettre un acte de terrorisme. Cette clause est suivie d’un énoncé selon lequel « une personne accusée d’une infraction en vertu de cet article peut faire valoir auprès d’un tribunal qu’elle avait une excuse raisonnable pour commettre ses actions ou avoir les biens en sa possession »[1]. Cette mesure risque d’affecter l’utilisation des TIC, en particulier l’internet. Les utilisateurs devront savoir discerner ce qui constitue de l’information susceptible d’être utile à des terroristes. Les critiques de la société civile font valoir que cet article, ainsi que d’autres dispositions du projet sur les pouvoirs accrus de perquisition et de saisie par la police, conduira à un sentiment croissant de méfiance et d’incertitude dans l’utilisation de l’internet au Kenya.

Gérer les risques – protection de la vie privée et sécurité

En fournissant des services au public et en assumant diverses autres fonctions en ligne, les gouvernements recueillent et utilisent toutes sortes de renseignements personnels sur leurs citoyens. Cela comprend des données sur le revenu, l’éducation, la santé, la propriété et l’emploi. Les gouvernements sont donc obligés de protéger les renseignements personnels et la sécurité de l’identité et des renseignements qu’ils acquièrent, non seulement en raison du droit à la vie privée reconnu par les lois internationales, mais également du fait que la confiance est un facteur essentiel des programmes en ligne, que ce soit dans le domaine du commerce en ligne ou du gouvernement en ligne.

Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la gouvernance en ligne a montré que la protection de la vie privée et la sécurité sont souvent citées comme des préoccupations importantes des internautes et une des raisons principales pour lesquelles ceux qui ne l’utilisent pas évitent l’internet (OCDE, 2008). Les particuliers et les entreprises n’utiliseront pas les services de gouvernement en ligne à moins d’être assurés que les renseignements recueillis seront utilisés de façon responsable et protégés des abus. Pour susciter la confiance dans les applications en ligne, les décideurs doivent intégrer les questions de vie privée et de sécurité dans la planification et la conception des services en ligne et aux étapes de l’application. Ces mesures de protection, lorsqu’elles sont intégrées à l’étape de la conception, sont généralement plus faciles à mettre en œuvre. Si l’on ne s’occupe pas de façon adéquate des problèmes juridiques et techniques associés à l’identité, la qualité des interactions sociales virtuelles et réelles se détériorera et aura une incidence encore plus forte sur la confiance dans le gouvernement et la technologie.

La confiance de la population dans la gouvernance électronique, tout au moins en ce qui concerne la protection des renseignements personnels, repose sur une bonne gestion des risques. Les victimes de la cybercriminalité, par exemple, seront moins favorables à des dossiers nationaux informatisés. Par conséquent, les entreprises et le gouvernement devront adopter des règles efficaces et très concrètes sur les bonnes pratiques pour que la population juge acceptable les programmes qui utilisent des renseignements personnels.

L’étude de l’OCDE note que malgré la sensibilisation croissante à l’égard des problèmes de sécurité et d’un renforcement correspondant des mesures de sécurité adoptées, les incidents de sécurité sont encore très nombreux et ne semblent pas prêts de cesser. La fraude au crédit ou aux cartes de crédit est un obstacle important au commerce électronique et les entreprises auront de la difficulté à convaincre les consommateurs qu’ils peuvent acheter en ligne en toute sécurité

Le gouvernement kenyan a commencé à s’intéresser aux questions de cybersécurité en formulant plusieurs projets de loi, notamment le projet de loi sur les TIC de 2007, mais il ne semble toujours pas comprendre l’étendue des destructions que peut causer la cybercriminalité.

Les lois en instance qui portent sur le respect de la vie privée et la sécurité sur l’internet sont les suivantes :

Le projet de loi sur les TIC 2007: Ce projet de loi vise à faciliter le développement de l’infrastructure nationale pour permettre l’accès universel, établir un cadre réglementaire pour la diffusion des contenus de communication dans un cadre de convergence, promouvoir la pluralité des actualités, des opinions et de l’information et créer un cadre favorisant l’investissement dans les TIC et leurs applications. Ce projet de loi contient un article qui rend les cybercriminels responsables des crimes et propose un cadre d’exécution qui ferait intervenir des cyberinspecteurs. Il ne traite pas suffisamment de la protection de la vie privée ou des données. Le gouvernement a proposé de rédiger un projet de loi séparé pour la protection des données.

Projet de loi sur la protection des consommateurs 2007: Ce projet de loi vise à établir un régime de protection générale des consommateurs et prévoit un recours juridique approprié pour les consommateurs lésés. Il propose de « codifier et de consolider les lois sur la consommation du Kenya, de prévenir les pratiques commerciales frauduleuses pour les transactions de consommation… ». Le projet de loi tente de protéger les consommateurs contre les fraudes et prévoit des dispositions législatives qui s’appliqueraient à toutes les transactions des consommateurs. Il contient des garanties spécifiques pour protéger les consommateurs qui achètent des biens ou des services en ligne et définit une entente internet comme une « entente avec le consommateur établie par une communication internet écrite ». Il s’agit d’encourager la confiance de la population au sujet de ce type de transactions.

Projet de loi sur les transactions électroniques: L’objectif général de ce projet de loi est de créer un environnement légal favorable aux consommateurs, aux entreprises, aux investisseurs et au gouvernement pour faciliter et promouvoir les transactions électroniques à l’aide de différents types de TIC. Il s’agit d’encourager l’utilisation des TIC, y compris les services de gouvernement et de commerce électroniques. Il vise également à protéger la vie privée du public et les intérêts des consommateurs et des investisseurs contre les abus.

Mesures à prendre

L’étude de l’OCDE note que les gens ont davantage confiance dans un système de gouvernement qui offre de nombreuses possibilités de participation et une protection des droits humains. Mais les sites Web des gouvernements facilitent rarement une rétroaction générale du public et très peu de réactions publiques aux propositions officielles sont publiées. On se sert également très peu des forums de discussion, des listes de distribution électronique et des tableaux d’affichage. Par conséquent, l’internet ne semble pas avoir réussi à améliorer la transparence du processus décisionnel des autorités publiques et l’accès aux décideurs ou à faciliter la participation de la population aux processus décisionnels. La plupart des Kenyans dépendent toujours de la radio comme principale source d’information. Les méthodes traditionnelles comme les lettres, les demandes écrites et les rencontres en personne continuent de dominer les communications.

La confiance est un facteur important de l’adoption du gouvernement en ligne, qui dépend largement de l’internet. Le manque de confiance dans le gouvernement ne peut être compensé par les TIC. Pour les Kenyans, l’utilisation de l’internet et d’autres TIC pour communiquer et effectuer des transactions électroniques dépendra du niveau de confiance dans les gens, dans les organisations et en fait dans la technologie. La technologie en tant que telle n’apportera pas de réformes, mais elle peut faciliter le changement, en réduire les coûts et en améliorer l’efficacité.

La confiance est liée à la gestion du risque, ce qui implique souvent des décisions de la part du gouvernement, même pour des changements réglementaires apparemment banals. Par exemple, en 2015, le Kenya adoptera la radiodiffusion numérique. Ce type de radiodiffusion est devenu la norme acceptée dans le monde pour la prochaine génération des médias de masse. Alors que la migration au numérique est un point tournant technologique très important, elle obligera a adopter une nouvelle technologie, ce qui ne se fera pas sans une incidence sur les questions de confiance du public dans les rapports légaux et réglementaires.

L’adoption de nouvelles technologies implique beaucoup plus que des questions organisationnelles et techniques ou des cadres réglementaires. Elle comprend également des dimensions éthiques en rapport avec l’interaction entre l’État et ses citoyens dans lesquelles la confiance, le consentement et la démocratie sont des composantes essentielles. Et l’absence d’intérêt pour ces questions dans la formulation des politiques actuelles est une raison d’agir.

Références

 

Ayogu, M.,  Strengthening National Information and Communication Technology Policy in Africa: Governance, Equity and Institutional Issues. ATPS Special Paper Series No. 13, 2003. Voir à: www.eldis.org/go/topics/resource-guides/governance/key-issues/e-government/e-government-and-public-sector-reforms

CCK (Communications Commission of Kenya), Annual Report 2006/2007, 2007. Voir à: www.cck.go.ke/annual_reports/CCK%20Annual%20Report06-07.pdf

DAESNU (Département des Affaires économiques et sociales des Nations Unies), Unlocking the Human Potential for Public Sector Performance: World Public Sector Report 2005, 2005. Voir à : unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/UN/UNPAN021616.pdf

Gouvernement du Kenya, Kenya Terrorism Bill 2006, Nairobi: Government Printers, 2006.

Gouvernement du Kenya, Kenya ICT Bill 2007, Nairobi, Government Printers, 2007.

Gouvernement du Kenya, Kenya Consumer Protection Bill 2007, Nairobi, Government Printers, 2007.

Kitaw, Y., E-government in Africa: Prospects, challenges and practices. UIT/EPFL, 2006. Voir à : people.itu.int/~kitaw/egov

Mundy, D., Kanjo, C. et Mtema, P., Meeting training needs for information age reform. Dans Heeks, R. (éd.), Reinventing Government in the Information Age, Londres, Routledge, 2001.

Nations Unies, Global E-Government Readiness Report 2005: From E-Government to E-Inclusion, New York, Nations Unies, 2005. Voir à :unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/un/unpan021888.pdf

OCDE (Organisation de coopération et développement économiques), Measuring Security and Trust in the Online Environment: A view using official data, 2008. Voir à :www.oecd.org/dataoecd/47/18/40009578.pdf

 


Notes de bas de page

 

[1]Suppression of Terrorism Bill, 2003, Part II, 5.